À propos de l’arrêt de la 3ème civ. Cass., 26.03.2020 : pourv. n° 18-16.117
La 3ème chambre de la Cour de Cassation s’est prononcée sur la portée de l’article 1er de la loi de 1965, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, tout particulièrement sur son alinéa 2, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi ELAN du 23.11.2018 :
« À défaut de convention contraire créant une organisation différente, la loi est applicable aux ensembles immobiliers qui, outre des terrains, des aménagements et des services communs, comportent des parcelles, bâties ou non, faisant l’objet de droits de propriété privatifs ».
Dans sa version modifiée par l’art. 2 de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30.10.2019 – en vigueur à compter du 1er juin 2020 –, les dispositions relatives aux « ensembles immobiliers » figurent désormais sous le II. 2°de l’article 1er de la loi de 1965 :
« II. À défaut de convention y dérogeant expressément et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs, la présente loi est également applicable :
2° À tout ensemble immobilier qui, outre des terrains, des volumes, des aménagements et des services communs, comporte des parcelles ou des volumes, bâtis ou non, faisant l’objet de droits privatifs.
Pour les immeubles, groupes d’immeubles et ensembles immobiliers mentionnés aux deux alinéas ci-dessus et déjà régis par la présente loi, la convention mentionnée au 1er alinéa du présent II. est adoptée par l’assemblée générale à l’unanimité des voix de tous les copropriétaires composant le syndicat ».
Les faits soumis à la 3ème chambre civile étaient les suivants :
La Société Dragonne et la Société Savana Investment sont, chacune, propriétaire de fonds contigus, supportant deux groupes d’immeubles.
Les garages souterrains respectifs sont desservis par une rampe d’accès commune sise sur la propriété de la Société Savana Investment.
Cette dernière, après expertise ordonnée en référé, assigne la Société Dragonne afin qu’il lui soit fait interdiction de traverser ses parcelles.
Quant à la Société Dragonne et reconventionnellement, elle demande qu’il soit dit que l’ensemble immobilier constitué des immeubles édifiés sur les deux fonds est soumis au statut de la copropriété,et que la rampe litigieuse est une partie commune dont elle est en droit d’user.
La Cour d’appel de Chambéry donne raison à la Société Dragonne :
« s’agissant d’un ensemble immobilier répondant à la description prévue par l’alinéa 2 de l’art. 1er de la loi du 10.07.1965, le statut de la copropriété est applicable même si les éléments et aménagements communs sont situés sur la propriété d’une seule des parties concernées par leur usage, que l’accès commun a été conçu et réalisé avec l’accord des deux sociétés, que l’expert affirme que son usage est identique pour les deux voisins et qu’il faut conclure que, sauf convention contraire entre les parties pour se doter d’une autre organisation, le statut de la copropriété est applicable à l’ensemble immobilier, dont cette rampe d’accès chauffante et l’entrée du garage constituent une partie commune ».
La Cour de Cassation casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt du 19.05.2019 de la Cour d’appel de Chambéry :
Point d’« ensemble immobilier », point de statut de la copropriété et donc point de rampe d’accès au garage « partie commune » !
Selon la Haute juridiction civile, la Cour d’appel viole l’article 1er alinéa 2 de la loi de 1965 puisqu’elle statue « sans constater l’existence de terrains et de services communs aux deux ensembles immobiliers ».
Autrement dit, il ne suffit pas qu’un « aménagement », tel qu’une rampe d’accès de garage grevant l’un des fonds, soit « commune » à deux groupes des bâtiments pour que ces derniers forment – au sens de l’al. 2 de l’art. 1er de la loi de 1965 – un « ensemble immobilier ».
Pour que le statut de la copropriété s’applique de manière supplétive il faut, en sus, que « l’ensemble » en présence offre « des terrains et des services communs » et à compter du 1er juin 2020, vraisemblablement « des volumes communs » aux parcelles – bâties ou non – faisant l’objet de droits de propriété privatifs.
Au vu de la jurisprudence, est un « ensemble immobilier » celui qui présente un passage ou chemin indivis opérant comme un élément fédérateur des propriétés en présence (v. CA de Paris, 30.06.1999 : D. 1999, IR n° 233).
Reste à savoir si l’élément « volume » conditionnera désormais la qualification « ensemble immobilier » …
En l’espèce :
La Cour de cassation réfute donc la qualité d’« ensemble immobilier » à l’ensemble constitué par les 2 groupes immobiliers de la Société Dragonne et la Société Savana Investment.
La rampe d’accès au garage n’est donc pas une partie commune, mais un équipement « privé », propriété exclusive de la Société Savana Investment.
La Cour d’appel de Chambéry relève que cet accès privé mais néanmoins« commun » aux deux groupes immoibiliers en présence « a été conçu et réalisé avec l’accord des deux Sociétés ».
Il semble néanmoins qu’aucune convention de servitude n’ait été signée et dûment publiée au Fichier immobilier …
Reste donc à savoir comment la Société Dragonne pourra revendiquer le droit d’user et de passer sur ladite rampe …
Puisque selon l’article 690 du Code civil seules les « servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou par possession de 30 ans » et que « les servitudes continues sont celles dont l’usage est ou peut être continuel sans avoir besoin du fait actuel de l’homme » (art. 688). À défaut de toute convention de servitude ou « titre », la Société Dragonne pourrait revendiquer un acte de « simple tolérance » au titre de l’art. 2262 du Code civil … Quitte à revendiquer la reconnaissance d’une servitude de passage pour enclave …
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