La « virtualité » investit la propriété publique

Si la chose publique est familière du concept de « virtualité », l’année 2016 marque la volonté, tant prétorienne que législative, d’en pérenniser l’utilisation.

Grace à cet artifice, un bien appartenant à une personne publique, non-encore « réellement » affecté à un service public, puisque non-encore aménagé à cet objet, peut bénéficier par anticipation du régime protecteur de la domanialité publique (inaliénabilité, imprescriptibilité, conservation) (1°/).

En aval, au nom « de la bonne gestion et de la valorisation du patrimoine » – maîtres mots de l’action publique moderne –, le législateur crée la domanialité privée « virtuelle ». Le propriétaire d’un immeuble affecté à une mission de service public va pouvoir le vendre par anticipation, en percevoir le prix, tout en reportant l’entrée en possession au jour de sa « désaffectation » (2°/).

1°/ De l’appartenance « virtuelle » à la domanialité publique

 Dans les années 80, la jurisprudence Eurolat consacre, l’existence d’un domaine public « virtuel » (CE, 6/05/1985 : req. n° 41.589 – 41.699 ; publié au Lebon). Il suffit que la personne publique propriétaire ait prévu « de façon certaine » que son bien immobilier sera spécialement aménagé en vue d’un service public, pour qu’ipso facto il bénéficie du régime protecteur de la domanialité publique (inaliénabilité, imprescriptibilité, conservation).

Les termes de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) entré en vigueur le 1er juillet 2006, étaient censés réduire comme une peau de chagrin la coulée « domanialité publique virtuelle ».

Le Conseil d’Etat s’est même plu, dans un considérant de principe à constater que :

depuis le 1er juillet 2006, « l’article L 2111-1 du CGPPP (…) exige, pour qu’un bien affecté au service public constitue une dépendance du domaine public, que ce bien fasse déjà l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public »

(CE, 8/04/2013, Cne de Villeneuve-les-Béziers : req. n° 363.738 ; publié au Lebon ; CE, 29/06/2015, Centre hospitalier de Menton : req. n° 368.299).

Mais voilà qu’en 2016 la Haute juridiction administrative réalise qu’une lecture trop stricte de l’article L. 2111-1 fera échapper au régime protecteur de la domanialité publique des biens, d’ores et déjà acquis par la personne publique – le cas échéant, par expropriation ou préemption –, destinés à être affectés à un service public, mais simplement sur le point ou en cours d’aménagement …

Dans un arrêt du 13 avril 2016, Commune de Baillarques (req. n° 391.431), le Conseil d’Etat rétablit la « domanialité publique virtuelle » tout en en modelant les contours :

« Considérant que, quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclu, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public ».

Bilan, si les dérives de la jurisprudence Eurolat révélaient un domaine public non plus « virtuel » mais « hypothétique » ; la jurisprudence Cne de Baillarques conditionne la reconnaissance d’une domanialité publique par anticipation aux seuls biens pour lesquels le propriétaire public justifiera, par un faisceau d’indices constitué de « circonstances de droit et de fait », de l’engagement d’une opération d’aménagement pour l’affecter à une mission de service public.

2°/ De la domanialité privée « virtuelle »

En principe, un bien du domaine public n’est aliénable qu’à deux conditions cumulatives, codifiées sous l’article L. 2141-1 du CGPPP :

  • d’une part, ce bien ne doit matériellement plus être « affecté à un service public ou à l’usage direct du public» ;
  • d’autre part la « désaffectation » doit être confirmée par un « acte administratif constatant son déclassement»

Afin de dynamiser et de faciliter la politique immobilière des personnes publiques, le législateur érige, dans le CGPPP, le concept de « domanialité privée virtuelle ».

Le bien vendu reste affecté à sa mission de service public – pendant au plus trois an, sous peine de résolution de plein droit –, alors que le produit de la vente est réinvesti par la personne publique. La continuité du service publique s’en trouve garantie.

Le « déclassement » anticipé facilite donc la vente de biens immobiliers anciens, dont l’entretien et la rénovation pèsent sur les finances publics, et surtout l’acquisition ou la construction de nouveaux bâtiments ou ouvrages, spécialement adaptés aux besoins des usagers.

Mais attention ! Les biens « simplement » affectés à l’usage direct du public – tels que des emplacements de parkings, un jardin ou une place publique – ne profitent pas du mécanisme domaine privé « virtuel ».

Par ailleurs, seuls l’Etat et ses établissements publics propriétaires d’immeubles affectés à un service public (article L. 2141-2 du CGPPP, dans sa version originaire de 2006), puis les établissement publics de santé (article L. 6148-6 du Code de la santé publique, dans sa version 2009) peuvent déroger aux dispositions de l’article L. 2141-1 du CGPPP.

Le Ministre de l’Intérieur résume – dans sa réponse à la question du député François Baroin – le caractère expérimental de l’outil :

« (…) l’extension aux collectivités territoriales des dispositions dérogatoires permettant un déclassement anticipé pourrait ne pas être adapté aux cas des communes, notamment des plus petites. C’est pourquoi il semble souhaitable, avant d’envisager une extension de ce dispositif aux collectivités territoriales, d’examiner l’application du déclassement anticipé par l’Etat et les établissements publics déjà autorisés à la mettre en œuvre, afin d’en tirer un premier bilan, et d’étudier les modalités selon lesquelles les dispositions de l’article L. 2141-2 pourraient bénéficier aux collectivités territoriales » (Rép. Min. Q. n° 57.055, JOAN du 15/12/2009, p. 12.056).

En 2016 – soit 6 ans après la création du concept – Gouvernement et Parlement prônent l’extension du mécanisme du déclassement anticipé aux collectivités territoriales.

Le premier, via une ordonnance de l’article 38 de la Constitution (v. l’article 15 du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dit « Sapin 2 », enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 30/03/2016). Ordonnance qui devrait également « déterminer les conditions dans lesquelles les personnes publiques pourront, le cas échéant, recourir à des promesses de vente sous condition de déclassement », ainsi que « simplifier et sécuriser les dispositions régissant les conditions d’occupation du domaine public ».

Le second, dans une proposition de loi éponyme, adoptée par l’Assemblée Nationale en première lecture, le 28 avril 2016.

Les collectivités territoriales devraient donc, dans un avenir proche, bénéficier de la domanialité privée « virtuelle » pour une partie de leur patrimoine immobilier.

N’hésitez pas à nous contacter !

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